Le cas Nokia : la complexité du marketing de l’innovation (2e partie)

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Lire la 1ère partie du cas Nokia…

Iphone : l’innovation de rupture qui marque la fin de la succes story Nokia

Mais ces erreurs de jugement ne lui causent pas vraiment préjudice : il s’agit en effet d’innovations incrémentales (simples améliorations d’un produit qui ne bouleversent pas le marché), que Nokia finit tout de même par incorporer à ses téléphones. Cependant, en ne comprenant pas l’intérêt du vibreur par exemple, ou en pensant offrir aux consommateurs l’accès Internet avec le WAP alors que ceux-ci n’y adhèrent pas, Nokia dévoile sa véritable faiblesse : une analyse marketing défaillante. En effet, le groupe améliore ses produits, certes, mais il se montre incapable d’anticiper les nouveaux besoins des consommateurs et les nouveaux usages qui ne demandent qu’à émerger.

Lorsque Apple sort l’Iphone en 2007, le surpuissant Nokia sous-estime cette nouvelle concurrence et ne croit pas en un « raz-de-marée Iphone ». N’a-t-il pas lui-même intégré quelques années plus tôt un agenda, un répertoire, un fax, un téléphone et un navigateur Internet dans les 220 grammes de son Communicator ? Persuadé que la technologie et l’usage de l’Iphone n’auront pas plus de succès du fait d’un prix trop élevé, le groupe finlandais campe sur sa position de leader. S’estimant indétrônable, il continue à proposer des téléphones mobiles identiques. « Le groupe n’a pas voulu éroder sa base de clientèle en la forçant à changer ses habitudes. Apple, lui, n’avait rien à perdre en proposant un produit avec une approche nouvelle », explique un ancien salarié de Nokia.

Dès 2009, c’est la fin de la success story. Le ralentissement économique mondial pèse particulièrement sur le marché des mobiles, alors que le succès des smartphones Apple, et dans une moindre mesure Google Androïd, est phénoménal et générateur de fortes marges. Voyant ses ventes diminuer considérablement, le finlandais décide de jouer sa dernière carte et tente un rapprochement avec Microsoft. Les deux entreprises lancent alors le Windows Phone en 2011, doté d’un puissant OS. Mais on le sait : pour qu’un système d’exploitation « survive », il faut qu’il soit populaire et répandu auprès de nombreux consommateurs. Reste donc à savoir si ce nouvel OS trouvera sa place dans un marché déjà bien encombré. En tout cas, le rapprochement Microsoft/Nokia gagne un soutien inattendu : celui des opérateurs de télécommunications. Même si durant plusieurs années, ces derniers se sont plaints du leadership de Nokia, ils souhaitent aujourd’hui contrebalancer la domination excessive de l’Iphone et du système Androïd. « Nous avons besoin d’un troisième acteur et, pour cela, nous les aiderons, même si cela prend du temps », explique l’un d’eux.

Aujourd’hui, Nokia est à la croisée des chemins : son navire prend l’eau de tout côté. Bien que bénéficiant du soutien des opérateurs et de Microsoft, l’ex-empereur finlandais trouvera-t-il les ressources nécessaires pour rebondir sur son marché, même si cela s’avère difficile ? Ou peut-être saura-t-il se réinventer sur d’autres marchés, comme il l’a déjà fait… Après tout, en près de cent cinquante ans d’existence, l’entreprise a bien su passer de l’industrie du papier à la téléphonie mobile…

La leçon à en tirer

Même le plus solide des leaders n’est jamais à l’abri d’un bouleversement de son marché : rupture technologique, mutations du besoin, nouveaux entrants sur le marché… Nokia est hélas devenu l’archétype de l’entreprise technologique brillante qui n’a pas su étudier, analyser et comprendre l’évolution des usages des consommateurs (besoins accrus en mobilité, culture de l’immédiateté, goût pour la simplicité des outils…) et comment les nouvelles technologies (le tactile multi-points, les écrans téléphoniques de grande taille, la rapidité du web…) pouvaient apporter des réponses en rupture avec ce qui se faisait alors.

Certes il est important d’innover technologiquement par incrémentations, c’est à dire en apportant une succession d’innovations mineures à un produit, mais ce n’est pas toujours suffisant. Le marketing technologique doit permettre d’aller plus loin : au cœur des plus grands succès technologiques de ces dernières années, l’innovation par les usages est bien souvent centrale. Oser créer une rupture dans l’offre, à travers des innovations technologiques mises au service de nouveaux besoins et usages identifiés chez les consommateurs, eux-mêmes détectés par des études d’usages et des études de marché de qualité venant confirmer ou affiner le “flair” des entreprises… Là est la clé.

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